mercredi 8 mars 2017

Mystique du Carême à l'école de dom Guéranger



Sandro Botticelli, Les tentations du Christ au désert, Chapelle Sixtine (détail)
    On ne doit pas s’étonner qu’un temps aussi sacré que l’est celui du Carême soit un temps rempli de mystères. L’Église, qui en a fait la préparation à la plus sublime de ses fêtes, a voulu que cette période de recueillement et de pénitence fût marquée par les circonstances les plus propres à réveiller la foi des fidèles, et à soutenir leur constance dans l’œuvre de l’expiation annuelle.

    Au Temps de la Septuagésime, nous avons rencontre le nombre septuagénaire, qui nous rappelait les soixante-dix ans de la captivité à Babylone, après lesquels le peuple de Dieu, purifié de son idolâtrie, devait revoir Jérusalem et y célébrer la Pâque. Maintenant c’est le nombre sévère de quarante que la sainte Église propose à notre attention religieuse, ce nombre qui, comme nous dit saint Jérôme, est toujours celui de la peine et de l’affliction.

    Rappelons nous cette pluie de quarante jours et de quarante nuits, sortie des trésors de la colère de Dieu, quand il se repentit d’avoir créé l’homme et qu’il submergea la race humaine sous les flots, à l’exception d’une famille. Considérons le peuple hébreu errant quarante années dans le désert, en punition de son ingratitude, avant d’avoir accès dans la terre promise. Écoutons le Seigneur, qui ordonne à son prophète Ézéchiel de demeurer couché quarante jours sur son côté droit, pour figurer la durée d’un siège qui devait être suivi de la ruine de Jérusalem.

    Deux hommes, dans l’Ancien Testament, ont la mission de figurer en leur personne les deux manifestations de Dieu : Moïse, qui représente la Loi, et Élie, en qui est symbolisée la Prophétie. L’un et l’autre approchent de Dieu : le premier sur le Sinaï, le second sur Horeb  ; mais l’un et l’autre n’obtiennent accès auprès de la divinité, qu’après s’être purifiés par l’expiation dans un jeûne de quarante jours.

    En nous reportant à ces grands faits, nous arrivons à comprendre pourquoi le Fils de Dieu incarné pour le salut des hommes, ayant résolu de soumettre sa chair divine aux rigueurs du jeûne, dut choisir le nombre de quarante jours pour cet acte solennel. L’institution du Carême nous apparaît alors dans toute sa majestueuse sévérité, et comme un moyen efficace d’apaiser la colère de Dieu et de purifier nos âmes. Élevons donc nos pensées au-dessus de l’étroit horizon qui nous entoure ; voyons tout l’ensemble des nations chrétiennes, dans ces jours où nous sommes, offrant au Seigneur irrité ce vaste quadragénaire de l’expiation ; et espérons que, comme au temps de Jonas, il daignera, cette année encore, faire, miséricorde à son peuple.

    Après ces considérations relatives à la mesure du temps que nous avons à parcourir, il nous faut maintenant apprendre de la sainte Église sous quel symbole elle considère ses enfants durant la sainte Quarantaine. Elle voit en eux une immense armée qui combat jour et nuit contre l’ennemi de Dieu. C’est pour cela que le Mercredi des Cendres elle a appelé le Carême la carrière de la milice chrétienne. En effet, pour obtenir cette régénération qui nous rendra dignes de retrouver les saintes allégresses de l’Alléluia, il nous faut avoir triomphé de nos trois ennemis : le démon, la chair et le monde. Unis au Rédempteur, qui lutte sur la montagne contre la triple tentation et contre Satan lui-même, il nous faut être armés et veiller sans cesse. Afin de nous soutenir par l’espérance de la victoire et pour animer notre confiance dans le secours divin, l’Église nous propose le Psaume 90e, qu’elle admet parmi les prières de la Messe au premier Dimanche de Carême, et auquel elle emprunte chaque jour plusieurs versets pour les différentes Heures de l’Office.

    Elle veut donc que nous comptions sur la protection que Dieu étend sur nous comme un bouclier  ; que nous espérions à l’ombre de ses ailes , que nous ayons confiance en lui, parce qu’il nous retirera des filets du chasseur infernal qui nous avait ravi la sainte liberté des enfants de Dieu ; que nous soyons assurés du secours des saints Anges, nos frères, auxquels le Seigneur a donné ordre de nous garder dans toutes nos voies, et qui, témoins respectueux du combat que le Sauveur soutint contre Satan, s’approchèrent de lui, après la victoire, pour le servir et lui rendre leurs hommages. Entrons dans les sentiments que veut nous inspirer la sainte Église, et durant ces jours de combat, recourons souvent à ce beau cantique qu’elle nous signale comme l’expression la plus complète des sentiments dont doivent être animés, dans le cours de cette sainte campagne, les soldats de la milice chrétienne.